Le Corps Mémoire

Centre de ressourcement et de connaissance de soi

Où est votre demeure ?

La première fois que j'ai rencontré Olivier Humbert vers qui Arnaud Desjardins m'avait orienté, nous avons parlé du but du travail de lying qu'il proposait et bien évidemment de sagesse. A la fin de l'entretien, curieux  de savoir si tout ce cheminement pouvait aboutir à quelque chose, je lui ai demandé ce qu'il en était pour lui. Il m'a répondu par une phrase dont j'ai perdu la totalité mais qui commençait par "Mon corps est mon temple..."

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Dans cette lettre j'ai eu envie de reprendre cette question que Svâmi Prajnânpad posait à deux de ses disciples Sumangal Prakash et son épouse Minati : Où est votre demeure ?
Cela me rappelle aussi, par association, cet ami du Larzac qui à la veille de mourir réclamait son cartable et souhaitait sortir. Son épouse lui avait demandé : où veux-tu aller comme ça ? Et il avait répondu : "Je rentre à la maison"

Quelle est cette maison dans laquelle nous pourrions vivre, si possible avant le jour de notre mort ?
C'est la maison que nous avons quittée en nous quittant nous-même à de multiples reprises sous la pression de la douleur, quel que soit le nom que vous lui donnez. Nous n'avons pas pu faire corps face à la dureté de certains événements de notre vie et encore moins quand il n'y avait personne pour nous apporter un peu de sollicitude, de soutien et de consolation. Il s'agit d'un réflexe de survie tout à fait naturel. Cependant ce réflexe, en se maintenant, se transforme en attitude de défiance et de retrait face à la vie.

La plupart du temps, pour ne pas dire toujours, la venue en séjour au Corps Mémoire correspond à un désir et une demande plus ou moins explicite de sortir la tête de l'eau. Parfois il s'agit même de sortir la tête de l'eau dans un sens littéral comme pour cette femme dont la mère l'avait maintenue la tête sous l'eau dans son bain pour la faire taire. Vous comprenez l'enjeu, ce n'est pas de la rigolade, c'est la réponse à une menace de mort, de destruction, de déni d'existence. Il s'agit de survivre. Et l'insécurité primordiale du tout jeune âge se trouve encore inscrite des dizaines d'années plus tard dans le corps et les comportements.
Voilà le premier temps de la demande et souvent il n'y en a pas d'autre. 

Sans que cela soit toujours compris, cette première demande est la demande d'une ultime recette pour maintenir à distance tout ce qui nous a fait souffrir et qui fait trop souvent irruption dans notre vie courante. Et mon accompagnement dans ce premier temps consiste à faire entrevoir la nécessité d'un retournement de perspective : il n'est visiblement pas possible de tenir à distance ces traumas qui gigotent comme un cadavre dans le placard. Au bout de toutes ces années de tentatives infructueuses, il est temps d'essayer une nouvelle attitude, celle de retourner là où cela a fait mal, tellement mal qu'il n'a pas été possible d'y rester. Et bien-entendu par réflexe, tout le corps dit "Non". Il s'agit alors d'écouter une autre voix, celle qui enveloppe notre être et qui nous montre patiemment que toutes les impasses ayant été explorées, il n'y a qu'une issue, celle qui consiste à faire corps avec. C'est la voix de la sagesse.

Ne soyez pas inquiets, comme le rapporte Sumangal Prakash dans son livre "Svâmi Prajnânpad, mon maître", dont est extrait le texte que vous pourrez lire ci-dessous il lui a fallu trente ans pour se sentir prêt à passer sincèrement et de tout son être à l'étape suivante : l'expérience de l'unité.*

Posez-vous simplement cette question : où est ma maison ? Où est-ce que j'habite ? À l'extérieur de moi, en train d'essayer de maintenir en état le barrage qui m'abrite de mes douleurs passées ou dans la présence à la vie et à tout ce qui me traverse ?

Rien n'est séparé

D'autres vont plus loin, dépassent le désir légitime d'aller mieux et persévèrent dans leur quête de sagesse. Lors d'une précédente semaine, à la fin d'un massage, le dernier jour de son quatrième séjour et après certainement de nombreuses autres expériences vécues pour revenir à faire corps, la personne qui était là, allongée, constate toute émue : « Je croyais que tout était séparé. En fait, rien ne l'est. Tout est un.»

Voilà une très belle expérience !

Ce à quoi nous devons ajouter : ce n'est qu'une expérience. Combien de temps durera-t-elle ? Un certain temps. Mais suffisamment pour marquer le souvenir. Je sais que cet état existe, je l'ai vécu, après tant de souffrance et d'errements, l'expérience en a été faite. L'expérience n'est pas permanente mais le souvenir est inaltérable et suffira à nous guider vers l'unité lorsque, bousculés par la vie, nous aurons temporairement perdu notre chemin.

* Titre d'un autre ouvrage de Sumangal Prakash

La porte de mon intériorité

Où est votre demeure ?

Svâmiji nous demanda soudain à tous les deux :« Où est votre demeure ? » Nous nous sentîmes presque stupides car Svâmiji savait bien que nous vivions à Patna pour le moment, et que je n'avais pas de maison de famille dont je pourrais devenir propriétaire. Tous les deux, nous le regardâmes en écarquillant les yeux.
« Que veut dire avoir une maison ?», demanda-t-il alors. Et il l’expliqua lui-même : « Des centaines de gens habitent à Calcutta, par exemple, pour gagner leur vie. Mais leur maison se trouve dans un village au loin. Ils ont immigré à Calcutta temporairement et y travaillent dans l'intérêt de leurs familles restées dans leur maison, où ils retournent de temps en temps et où ils espèrent pouvoir revenir au soir de leur vie. N'en est-il pas ainsi ? »
« Oui, Svâmiji, répliquai-je, mais je n'ai sûrement pas une telle maison. »
« N'en avez-vous pas ? » Il me regarda et regarda ensuite Minati avec des yeux qui devenaient doux et tendres, puis continua : « Quel est le lieu où vous pouvez tous les deux venir et séjourner aussi longtemps que vous le souhaitez, où vous avez toujours une entrée libre et où, après l'avoir quitté, vous désirez toujours revenir, considérant le lieu de votre travail seulement comme une résidence secondaire et temporaire ?» Ce fut Minati qui répondit pour nous deux, la voix tremblante d'émotion : « L’ashram, Svâmiji. » Mais que signifiait ashram ? En avions-nous une conception claire ? Dans quel but étions-nous venus à l’ashram ?

Et Svâmiji lui-même commença à démêler notre but qui était confus et vague : « Le but est de sortir de l'individualité rigide, étroite et insignifiante, de ce qui est petit (alpa) et d'avancer graduellement vers la totalité (bhûma), de ne pas rester confiné à l’intérieur des limites de notre entité séparée et divisée, mais de s'immerger dans la totalité non divisée. Venir auprès de Svâmiji signifie venir dans un refuge permanent, de façon à chercher la vérité qui est aussi permanente. Pour de telles personnes, une maison construite de briques et de mortier ne peut jamais devenir leur maison. »
Bien entendu, je travaillais pour mon gagne-pain à Patna, mais cela n'était-il pas dirigé vers l’unique objectif de m'établir, en fin de compte, dans notre véritable maison, après avoir graduellement surmonté tous les obstacles et les obligations qui nous retiennent en bas, dans les petits intérêts mondains, mesquins et sociaux ?

Sumangal Prakash

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Extrait de : Svâmi Prajnânpad, mon maître par Sumangal Prakash. P. 222-224. Éditions Accarias L'originel.
Photographie : Marie-Odile Scappe

 

[Élément de contexte]

[ J'ajoute ce texte qui vient juste avant le texte ci-dessus dans le livre de Sumangal Prakash afin qu'il soit complet et que vous puissiez en apprécier le contexte. L'ashram n'est pas un lieu ordinaire où nous pourrions passer comme des clients dans un hôtel. C'est le lieu qui nous ouvre le chemin des retrouvailles avec nous-même au travers du maître (ce que je ne suis pas) et c'est aussi le lien qui nous unit à ce chemin et à ceux qui cheminent. L'ashram est donc aussi un lieu intérieur. ]

Une autre fois, je fis une autre expérience totalement différente avec Svâmiji. Minati était dans un grand besoin personnel d'aller le voir pendant quelque temps. Le jour et l'heure de son arrivée à l'ashram de Channa avaient été fixés. Cependant, son voyage dut être retardé d'un jour, parce que la fille d'un très cher docteur, que j'avais toujours traité depuis son enfance comme étant un ami, vint pour habiter avec nous après son mariage, sans nous en avoir informés précédemment. Elle s'était mariée quelques mois auparavant. Minati et moi-même avions beaucoup regretté de n'avoir pu assister à son mariage.

Naturellement, par conséquent, je me réjouis de son arrivée et de celle de son mari. Et  je m'attendais à ce que Minati retarde sa visite à l'ashram d'une semaine au moins. Mais le besoin de Minati d'être avec Svâmiji se révéla trop fort et c'est avec beaucoup de réticence qu’elle le retarda d'une seule journée. Par conséquent, un télégramme fut envoyé à Svâmiji pour l’informer du changement de programme. La fille de mon ami et son mari acceptèrent de rester avec moi pendant une semaine après le départ de Minati.

Quelques semaines plus tard, je pris un congé de quinze jours, comme je le faisais de temps en temps, et me rendis à l'ashram. Et avant que je puisse trouver le moyen de me plaindre à Svâmiji du manque complet d'égard de Minati pour mes sentiments, Svâmiji me fit la surprise de me demander une explication pour avoir retardé le départ de Minati d'une journée !

Je dis tout ce que j'avais à avancer pour ma défense, mais Svâmiji n'y attacha pas la moindre importance : « Savez-vous, me dit-il d'un ton plutôt sévère, que même après avoir entendu la même explication de la part de Minati pour votre défense, je lui avais demandé pourquoi elle avait cédé à votre volonté et avait retardé son départ d'une journée ! » Avant que j'aie eu le temps de rassembler mes esprits pour absorber ce choc, Svâmiji revint à la charge : « Tous les inconvénients auxquels a été soumis Svâmiji pour réserver le char à bœufs, pour l'envoyer à la gare, une fois de plus, ce n'est pas à Svâmiji lui-même d'en parler, c’est à vous de les prendre en considération. Mais le point le plus important, c’est que vous devez noter définitivement qu'une tierce personne ne peut jamais se mettre entre Svâmiji et la personne dont il s'occupe. Si c'est ce que vous souhaitiez, vous auriez pu bien sûr empêcher Minati, parce que vous êtes son mari, de venir voir Svâmiji au tout début. Mais l'ayant amenée une fois à Svâmiji, il ne vous appartient pas de décider quand et pour combien de temps elle viendra séjourner à l'ashram. »

Je fus stupéfait de ce nouveau retournement de situation mais Svâmiji continua alors d'un ton plus doux : « Seul un besoin profondément senti conduit des gens comme vous auprès de Svâmiji. Et Svâmiji reste prêt a porter le fardeau que vous autres cherchez à mettre sur son dos, Comment quelqu'un pourrait-il comprendre et sentir la profondeur et le degré de besoin d'une personne, à un moment particulier, de venir auprès de Svâmiji ? »

Svâmiji nous demanda soudain à tous les deux :« Où est votre demeure ? » [la suite ci-dessus]