Là où il y a refus, vous trouverez le mental
Dans la lettre précédente nous nous sommes posé la question de « guérir l’ego ou guérir de l’ego ». Nous avons vu aussi que l’ego pouvait être défini comme « le sens de la séparation ». Voici aujourd’hui ce qu’en explique Swâmi Prajnânpad dans un entretien rapporté par Sumangal Prakash :
Svâmiji expliqua le phénomène appelé mental de manière variée et à différentes occasions. À un moment, en traitant de ahamkara – ou l'ego – il dit : « Quoi que vous fassiez en prenant l'ego comme allant de soi, cela ne vous fera jamais aller profondément jusqu'aux racines. Vous réussirez seulement quand vous refuserez de reconnaître l'existence même de l'ego. L’ego en fait n’a pas d'existence, il apparaît simplement comme étant là.
Maintenant, quelle est la cause de son apparition ? L’existence ou l'importance de n'importe quelle chose, ou d'une emphase sur une chose est causée seulement par le refus. Sans refus, fondamentalement rien ne peut exister, on ne peut y mettre aucune emphase, et l'ego ne peut pas se renforcer.
Ce facteur ou élément de refus est à la racine de l'ego, mais ahamkara semble être un terme pompeux, ainsi mettez-le de côté et appelez-le mental.
Le refus est transformé en mental. Là où il y a refus, vous trouverez le mental. Là où il y a acceptation, il n'y a pas de mental. Si vous regardez une chose telle quelle est, si vous acceptez une situation comme elle est vraiment, qu'y a-t-il d'autre à prendre en compte ? Y a-t-il dans ce cas la moindre création mentale ? Aussi longtemps que l’on ne voit pas une situation particulière comme elle est en réalité, quelque chose d'autre va apparaître à sa place. Quand vous n'acceptez pas ce qui est actuellement ici, vous avez besoin de créer quelque chose d'autre pour le mettre à sa place. Cette faculté de produire quelque chose d'autre est appelée le mental. Et alors une longue chaîne commence sous la forme d'une série d'actions et de réactions : positives et négatives, bonnes et mauvaises, mort et souffrance... qui apparaissent ainsi comme des anneaux de cette chaîne. Comment ceux-ci sont-ils produits ? Par le refus : en refusant ce qui est, en le niant, en créant quelque chose d'autre à sa place. »
Voyez la radicalité du propos : fondamentalement, rien ne peut exister sans refus. Ce sens de la séparation existe parce qu’il refuse. Il n’est pas d’accord pour être la totalité, il refuse une partie au profit d’une autre, il refuse la douleur au profit du bien-être, il refuse la coexistence des deux et crée ainsi la souffrance. Dans un univers vide et fluide, refuser crée l’accident, la matière égotique. Il suffit que plusieurs egos soient là en même temps pour qu’ils se cognent et cherchent ensuite à résoudre une multitude de problèmes qui n’existeraient pas sans eux. « Le mental crée les problèmes qu’il essaie ensuite de résoudre. »
Dans la précédente lettre, vous avez peut-être remarqué une phrase énigmatique : « On ne peut pas terminer une psychothérapie [] sans accepter le passé tel qu’il a été et pour ce faire sans laisser se dissoudre progressivement cet ego qui s’interpose entre moi, cette condensation du monde au sein du monde, et la réalité.
Autrement dit, l’ego est le monde. En refusant, il crée cette condensation comme de la vapeur d’eau se condense pour donner une goutte d’eau qui se prendrait pour elle-même et refuserait de retourner au tout.
Cette condensation plus ou moins intense crée un obscurcissement de la conscience en ce point de l’espace. Comme d’ailleurs les nuages obscurcissent le ciel et projettent leur ombre sur la surface.
La voie que proposait Svâmi Prajnânpad en répondant à ses disciples ne consistait pas à détruire l’ego mais à l’élargir, à l’étendre jusqu’à ce qu’il soit tellement vaste qu’il ne fasse plus qu’un avec le monde.
Maintenant, voyons cela en pratique :
À une autre occasion il dit (toujours cité par Sumangal Prakash) : « Pour trouver si le mental apparaît sous n’importe quelle forme, dans n’importe laquelle de ses manifestations, il n’y a qu’un seul moyen sûr : Y a-t-il la moindre émotion ? »
Dès que l’émotion se présente, il y a refus et par conséquent mental.
« Le petit chat est mort » est remplacé par « C’est trop injuste, ce petit chat n’aurait pas dû mourir, le chauffeur du camion aurait dû le voir, d’ailleurs il ne devrait pas y avoir de camion ici et de toutes façons on n’a pas besoin de camions qui polluent et ne servent qu’à engraisser les firmes... »
Pourquoi ce refus et ce développement mental ? À cause de la douleur, susceptible d’atteindre tout être incarné et qui rappelle d’autres douleurs plus anciennes qui n’ont pas pu être assumées.
L’émotion est un très bon indicateur que quelque chose n’a pas été accepté, je dirais même plutôt qu’accepté, vu, car dans l’acceptation il peut y avoir quelque chose d’un peu forcé alors que le verbe voir me paraît plus neutre, et que ce qui n’a pas été vu par le passé continue à travers le filtre du mental à voiler la réalité présente.
Cela ne changera pas tout pour vous car comme tout un chacun il nous arrive d’être débordé voire submergé par une émotion mais vous pourrez éventuellement vous souvenir que quand le mental obscurcit votre vision de la réalité environnante, ce n’est pas le moment d’agir ni de prendre des décisions… qui ne seraient que des réactions à votre état intérieur et produiraient encore plus de chaos autour de vous.
Vous trouverez la suite de ces extraits et le récit de Sumangal Prakash dans le livre « Svâmi Prajnânpad mon Maître, quarante ans d’enseignement » aux éditions Accarias L’Originel.
Il peut être utile d’avoir lu quelques livres d’Arnaud Desjardins auparavant pour faciliter la lecture et l’accès au style de ce maître du 20ème siècle, qui par ailleurs, n’a pas écrit lui-même.