Le Corps Mémoire

Centre de ressourcement et de connaissance de soi

Cesser la guerre. Par Michel Lefeuvre

La guerre est l’expression violente de l’inimitié, le désir réciproque d’anéantissement de l’autre, l’ennemi.

L’ennemi peut être en moi, ou tout proche, ou très lointain. La guerre pourra donc être intérieure, ou avec mon prochain, ou entre deux armées lointaines.

Sommes-nous attentifs à nos guerres intérieures ?

N’avons-nous pas quelquefois du mépris pour certaines parties de notre être ? Si nous entretenons amitié avec notre corps physique, sommes-nous aussi ami avec notre être psychique, nos sentiments, nos émotions ? Quant à notre être spirituel, celui qui exprime le sens de notre vie, notre époque ne cesse de le nier et il en résulte non-sens, peur de la mort et solitude.

Autour de nous, l’inimitié affecte notre famille, nos voisins, nos relations. C’est le conflit, souvent latent, parfois violent, et la plupart du temps mal résolu. La guerre entre nations est permanente. Ce que l’on appelle paix n’est en réalité qu’une guerre froide endémique. De nature économique ou idéologique, elle n’éclate pas trop souvent mais nous maintient dans la peur et la méfiance réciproques.

 

Cesser la guerre. Dos à dos.

Pour que cesse cet état, il faut un retournement, une conversion. Mais conversion bien ordonnée commence par soi-même. "Corps-mémoire" est là pour aider à cesser de se faire la guerre à soi-même : Prendre conscience de ce qui nous empêche d’être en paix, et trouver le remède.

Mais les conflits entre personnes ou entre groupes sont plus évidents.

Il y a des individus qui aiment le conflit et la bagarre, d’autres qui en ont peur. Ceux qui l’aiment essaient de toute leur violence d’en sortir vainqueur, ou à défaut, de prendre leur revanche. Cela ne résout rien, mais entretient l’inimitié et la sensibilité des vieilles blessures non cicatrisées. Ceux qui ont peur du conflit l’évitent, font semblant de ne pas le voir et se croient quittes quand la guerre n’éclate pas. Mais rien n’est résolu si les problèmes demeurent.

Le conflit, qu’il ne faut pas confondre avec la violence, est une indication de la vie, une occasion de croissance que nous devons regarder en face et accepter sans peur. C’est l’occasion de réviser nos relations, de les réajuster, afin que la paix soit également partagée et que cessent les antagonismes.

Quelle est l’origine du conflit ?

Des besoins non satisfaits, ou la peur qu’ils le soient.

Des valeurs bafouées, ou la peur qu’elles le soient.

Quelle doit être la bonne résolution ? Qu’il n’y ait aucun perdant, mais que chacun soit satisfait dans ses besoins et respecté dans ses valeurs.

Quels seront les moyens : La recherche commune, par les antagonistes eux-mêmes, de la solution satisfaisante.

On confond souvent solution et besoins : Chacun s’accroche à sa solution, ce qui l’empêche de voir qu’il en existe d’autres, capables aussi de le satisfaire.

Parmi toutes les solutions envisagées ensemble, il faut trouver celle qui satisfait des besoins différents, causes du conflit.

Ce qui est difficile, quand on est en conflit, c’est de chercher ensemble. Car chacun des antagonistes possède comme des morceaux d’une clef qu’il faut reconstituer, ce qui exige coopération, donc communication. Souvent cette communication est rendue impossible par les blessures qui ont révélé le conflit. Le recours à un tiers s’avère alors nécessaire : c’est la médiation, dans laquelle le médiateur agira à la façon d’un catalyseur, facilitant la communication et laissant entièrement la solution entre les mains des parties.

Le contraire d’un arbitrage. Notons au passage qu’on parle souvent de médiation en pensant arbitrage et même jugement, avec pouvoir du juge...

Sans approfondir plus la notion de médiation, citons Jean-François Six, fondateur de l’Institut National de la Médiation :

"Le royaume de Satan, c’est le royaume de l’accusateur" a dit René Girard. Une médiation consiste justement à briser cette accusation réciproque et cette volonté d’élimination de l’autre ; et à faire passer cette idée que l’un des deux n’a pas à devenir gagnant ou perdant, que la réussite de l’un et de l’autre à la fois peut ne pas passer par le rejet de l’autre. Le médiateur est l’avocat de cette idée."

Je terminerai en évoquant Luc, chapitre 6, verset 27 à 38.

Que veut dire Jésus par "Aimez vos ennemis" sinon : "Cessons de nous faire la guerre" ? Non pas en déniant nos sentiments, en reniant nos besoins et nos valeurs ; mais avec la certitude que la paix est au-delà de l’attachement à nos griefs, et que la volonté de paix peut nous faire entrer dans cet au-delà, et nous faire découvrir une forme de relation nouvelle qui engendre de nouveaux sentiments.

Ce qui est vrai au niveau personnel l’est aussi au niveau collectif. Le grand mérite de Gandhi, c’est d’avoir appliqué la morale inter-personnelle à la vie politique. Ce qui exigeait d’abord d’être en accord avec soi-même.

Tout se tient. Par quel endroit vais-je commencer ? En moi ? Près de moi ? Loin de moi ?

Michel Lefeuvre

Michel est calligraphe, boulanger, et non-violent. Michel est bien plus que cela, mais je ne sais pas tout de lui. Au cours d’une discussion à propos du Larzac, il en est venu à me dire "Ils ont gagné contre." Les paysans ont gagné, mais ils ont gagné contre les militaires. Quelques temps plus tard, lors d’un colloque pour le 50ème anniversaire de la mort de Gandhi, une des questions était à peu près celle-ci : "La non-violence est-elle une technique ou un art de vivre?" Certains répondront un peu vite, - les deux mon capitaine. Pour moi, il est clair que si la non-violence est une technique, elle n’est pas non-violente. Si on sépare le but du moyen de l’atteindre -la technique- on crée de la violence. Vous me direz peut-être qu’il faut que le but aussi soit non-violent. Mais dans ce cas, on divise le monde en buts non-violents et en buts violents. Et tant qu’on divise le monde, on reste dans la violence.

Un chapitre du livre "Le Corps Mémoire" est consacré à ce sujet : Cesser la guerre